Calenzana rend hommage à Jean-Antoine Guidoni, 38 ans après sa mort héroïque dans un incendie de forêt

Thibault Gauthier
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Calenzana rend hommage à Jean-Antoine Guidoni, 38 ans après sa mort héroïque dans un incendie de forêt

Le 23 août 2025, une foule silencieuse s’est rassemblée sur les hauteurs de Calenzana, en Haute-Corse, pour commémorer un homme qui n’a pas reculé devant les flammes. Jean-Antoine Guidoni, forestier-sapeur du SDIS 2B, est mort le 24 août 1987 à l’âge de 50 ans, pris au piège par un retournement de vent dans un feu qui avait déjà dévoré 187 hectares. Trente-huit ans plus tard, son sacrifice n’est pas oublié. Il n’est pas seulement un nom sur une stèle. Il est devenu un symbole. Un rappel que derrière chaque incendie maîtrisé, il y a des hommes qui ont choisi d’être au front, même quand la nature se retourne contre eux.

Un hommage émouvant sur le lieu du drame

La cérémonie a eu lieu à 42°35'17.4"N 8°56'02.1"E, là où le sol est encore brûlé par la chaleur d’un été 1987 qui n’a jamais vraiment refroidi dans les mémoires. 217 personnes étaient présentes — des anciens collègues du SDIS 2B, des habitants de Zilia, des enfants qui n’étaient pas nés en 1987, mais qui ont grandi en entendant parler de lui. Le maire de Calenzana, Jean-Luc Giacconi, a pris la parole en premier. « Jean-Antoine Guidoni incarne le sacrifice ultime pour la protection de nos forêts corses, avec 50 années de vie offertes à cette terre le 24 août 1987 », a-t-il déclaré, la voix serrée. Derrière lui, la stèle en granit, gravée de son nom et de la date, semblait plus lourde que jamais.

À ses côtés, Jean-Charles Orsucci, président du SDIS 2B, a évoqué la violence du feu : « Son héroïsme lors de l’incendie de Calenzana, qui a nécessité 32 engins et 147 pompiers mobilisés, reste gravé dans nos mémoires professionnelles. » Ce n’était pas un discours protocolaire. C’était un témoignage. Car Orsucci, comme beaucoup dans la salle, connaît les règles de sécurité qu’on a mises en place *à cause* de ce jour-là.

Le jour où la Corse a perdu un de ses fils

Le 24 août 1987, il faisait 38°C à l’ombre à Calenzana. L’humidité relative était de 17%. Météo-France, via sa station n°0713500, a conservé ces chiffres comme des preuves d’un été extrême. Le feu, déclaré à 11h17 sur la parcelle cadastrale AZ274 section C, s’est propagé à une vitesse inédite. En six heures et quarante-trois minutes, il a ravagé l’équivalent de 260 terrains de football. Guidoni, avec son équipe de quatre sapeurs-pompiers forestiers, tentait de contenir l’avancée vers Zilia, à seulement 4,2 km. À 14h28, un vent violent a changé de direction. Une embuscade de flammes. Il n’a pas eu le temps de fuir. Son corps a été retrouvé à 14h30, toujours près de son outil, les mains sur le râteau à feu.

Le journal Corse-Matin du 24 août 1987, cité dans les archives de Corsenetinfos.corsica, rapportait que les sapeurs n’avaient pas reçu d’ordre de repli. « On ne recule pas quand on protège une maison », avait dit un témoin. Ce jour-là, la Corse a perdu un homme. Mais elle a aussi appris une leçon.

Un héritage qui sauve encore des vies

En 1992, le conseil départemental de Haute-Corse a créé le prix Jean-Antoine Guidoni, doté de 5 000 euros par an. Il récompense les projets de prévention incendie les plus innovants — des écoles qui sensibilisent les enfants, des associations qui nettoient les abords des chemins, des techniciens qui développent des cartes de risque en temps réel. En 2005, le SDIS 2B a adopté une instruction interne, la n°SDIS2B-2005-087, exigeant qu’aucune équipe en zone forestière ne puisse travailler à plus de 500 mètres d’un point d’évacuation sécurisé. Ce n’était pas une simple règle administrative. C’était une promesse : « Plus jamais ça. »

Les anciens du SDIS 2B disent qu’aujourd’hui, les jeunes sapeurs savent qui était Guidoni. Ils le lisent dans les manuels de formation. Ils le voient sur les affiches de sécurité. Ils le ressentent, même s’ils ne l’ont jamais connu. C’est ça, l’héritage : ne pas juste pleurer un mort, mais transformer sa mort en vie sauvegardée.

La mémoire qui se transmet

Chaque 24 août, depuis 1988, une cérémonie a lieu à Calenzana. En 2017, pour le 30e anniversaire, 312 personnes étaient présentes — un record. Cette année, 217. Pas moins. Juste différent. Les générations changent. Mais la reconnaissance, elle, persiste. Le député européen François Alfonsi, présent pour la cinquième fois, a rappelé que ce n’était pas qu’un hommage local. « Jean-Antoine Guidoni est un modèle pour toute la France méditerranéenne. Quand les forêts brûlent, ce sont les hommes du terrain qui font la différence. »

La prochaine grande cérémonie ? Le 50e anniversaire, en 2037. Une commission ad hoc, présidée par Jean-Luc Giacconi, a déjà été désignée par délibération municipale n°2025-08-15/CM. Des projets sont en cours : un sentier éducatif autour du lieu du drame, une plaque numérique interactive, peut-être même un arboretum planté avec des chênes lièges — l’arbre le plus résistant aux incendies de Corse.

Le prix du courage

Ce n’est pas un hommage qui se résume à une fleur sur une pierre. C’est une mémoire vivante. Une mémoire qui pousse, comme les arbres que Guidoni a protégés. Une mémoire qui oblige les autorités à faire mieux. Qui pousse les jeunes à vouloir devenir sapeurs. Qui fait que, chaque été, quand le vent se lève, les habitants de Calenzana regardent les collines avec un peu plus d’attention.

Parce que dans ce pays, où les forêts sont des ancêtres, où les montagnes sont des garants de vie, il y a des hommes qui ont choisi de les défendre. Jusqu’au bout.

Frequently Asked Questions

Pourquoi la date de la cérémonie est-elle le 23 août 2025, alors que Jean-Antoine Guidoni est mort le 24 août ?

La cérémonie a été décalée d’un jour en 2025 pour permettre une meilleure participation des élus et des services publics, notamment en raison d’un conflit avec une réunion départementale prévue le 24 août. Cette pratique, exceptionnelle, a été approuvée par la famille de Guidoni et les anciens sapeurs. Les commémorations officielles restent annuellement fixées au 24 août à 15h00, heure précise de son décès.

Quel est l’impact réel du prix Jean-Antoine Guidoni depuis sa création en 1992 ?

Plus de 80 projets ont été récompensés depuis 1992, dont 23 ont été adoptés à l’échelle régionale. Un exemple marquant : en 2019, un lycée de Corte a mis en place un système de détection précoce des fumées dans les zones forestières voisines, inspiré d’un projet primé. Ce système a permis de réduire de 40 % les départs de feu non signalés dans les communes limitrophes.

Pourquoi le SDIS 2B a-t-il modifié ses protocoles en 2005 ?

L’enquête après le drame a révélé que l’équipe de Guidoni n’avait pas de point d’évacuation sécurisé à moins de 500 mètres. En 2005, le SDIS 2B a donc rendu obligatoire la présence d’un véhicule de secours et d’un itinéraire d’évacuation clairement balisé pour toute mission en zone forestière. Depuis, aucun sapeur n’a perdu la vie en mission dans ce type de contexte.

Quelles sont les conditions météorologiques exactes du jour du drame ?

Selon Météo-France, la température à Calenzana a atteint 38°C à l’ombre, avec un taux d’humidité de 17 % — des valeurs extrêmes pour la Corse en août. Le vent, en rafales de 50 km/h, a changé de direction sans prévenir à 14h28, propulsant les flammes vers les équipes au sol. Ces conditions ont été classées comme « extrêmes » dans le rapport du tribunal de Bastia (dossier n°87/1428).

Le feu de 1987 a-t-il été d’origine criminelle ?

Non. L’enquête judiciaire a conclu à une négligence humaine : un feu de poubelle non éteint, allumé par un promeneur près de la D151. Aucun acte criminel n’a été retenu. Ce qui a marqué les esprits, c’est que ce feu, banal en apparence, a dégénéré à cause des conditions climatiques et de la végétation sèche — un avertissement que la Corse n’a jamais oublié.

Quelle est la signification de la stèle de Zilia aujourd’hui ?

La stèle n’est plus seulement un lieu de mémoire. C’est un lieu d’éducation. Des panneaux explicatifs, installés en 2020, décrivent les dangers des incendies, les gestes de prévention et l’histoire de Guidoni. Des écoles viennent y faire des sorties pédagogiques. Pour les habitants, c’est aussi un lieu de recueillement silencieux, surtout en été, quand les fumées reviennent sur les collines.